On est souvent pas loin de la crise de nerfs généralisée, ces jours-ci, même dans notre campagne reculée! Un sujet de prise de bec fréquent, c’est bien sûr les profs, et l’éducation au sens large. Au sein même de la rédaction de Mefia Te, ça tiraille. D’un côté, on en a marre de voir les profs se faire fusiller. Mais de l’autre, certains parents de jeunes enfants n’en peuvent plus du sort qui leur est réservé par l’Éducation Nationale. Voici deux billets d’humeur aux antipodes, par deux membres de la rédaction, toutes deux anciennes enseignantes!
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« 40 000 profs qui ont glandé pendant le confinement, c’est scandaleux! Les gars ils se la coulent douce et ils laissent les gamins livrés à eux-même. Merde, ils sont responsables! »
Voilà le type de réflexion qu’on entendait la semaine dernière. Merci les médias ! Après vérification, 40 000 sur 800 000 représentent 4 à 5% des enseignants. Bien sûr, ça fait un vide. Maintenant, il faut relativiser: on parle de profs, pas d’instits. Donc, un prof = une matière, soit quelques heures d’enseignement hebdomadaire qui sautent, pas une absence totale d’enseignement pendant 2 mois pour l’élève. Ce qui n’est pas rare en temps normal: les profs absents (pour des raisons de santé par exemple) sont de moins en moins remplacés… Et il y a des profs incompétents et indéboulonnables, c’est un secret de Polichinelle dont on s’inquiète justement aujourd’hui? Étonnant…
Moi, je m’interroge. Pourquoi, encore une fois, stigmatiser l’ensemble d’une profession pour 4 à 5% de moutons noirs? Pourquoi réaliser cette enquête sur eux, encore une fois? Les autres professions auraient toutes été exemplaires pendant le confinement? Y a que chez les profs qu’on trouve des glandeurs? J’ai comme un doute et je serai curieuse de savoir parmi les accusateurs combien ont réellement fait leur temps de télétravail… Après tout, on devrait peut-être lancer un flicage à grande échelle, ce serait dans l’air du temps…
Après la première quinzaine du confinement, je disais, sincèrement, à un ami enseignant que pour mes enfants, je trouvais que les profs assuraient, que vraiment, je ne regrettais pas d’avoir quitté cette galère et que je leur tirais mon chapeau. Il était stupéfait de ma réaction et me disait redouter les retombées parce qu’ils ne pourraient pas faire leur boulot comme d’habitude et que ça leur retomberait dessus.
Mais justement, on n’était pas comme d’habitude! Du jour au lendemain, les profs ont dû faire de l’enseignement à distance. Mais ça ne s’improvise pas! Il y a des méthodes, des moyens que les profs n’ont pas l’habitude d’utiliser quand ils sont en classe, forcément. Faut pas avoir fait de grandes études pour comprendre ça! Là, on leur dit : « Démerdez-vous! L’exécutif a garanti aux parents la continuité pédagogique (un terme jusqu’à présent utilisé principalement par les enseignants mais qu’aujourd’hui tout le monde s’approprie), à vous d’assurer le job! » Avec les parents, bien sûr.
Alors, on s’est retrouvés pris en otage, parents et profs, à devoir travailler ensemble pour nos enfants. En plus, nous, parents, on n’était même pas payés! Alors un nombre considérable de parents se sont découvert des talents de pédagogues. Et leurs enfants ont compris plein de trucs qu’ils n’avaient pas compris à l’école, quand même ça prouve bien que le prof est nul, non? Non. Mais ça prouve que certains parents ont enfin ouvert les cahiers de leurs enfants. Qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’apprendre. Que les profs ne voient pas tout dans des classes à 35 élèves. Que certains élèves restent sur le carreau. Bref, rien de neuf sous le soleil les gars…
J’ai bossé 8 ans dans l’enseignement, ça ne me rend pas capable d’assurer l’école pour mes enfants. La continuité pédagogique, je peux l’assurer (quoique, on parle des maths ou de la chimie niveau 2nde?). La pédagogie, sans me vanter, je connais. Pourtant, j’ai galéré un max, comme beaucoup. Parce qu’on ne s’improvise pas enseignant. Parce que nos enfants, à la maison, ne sont pas des élèves. Parce qu’un élève ne peut pas exister sans école. Parce que « école » et « continuité pédagogique » ne sont pas synonymes. L’école c’est aussi la socialisation, les règles, l’échange, le respect, l’entraide. Bref, tout ce qui crée ce fameux « vivre ensemble », rabâché au point d’être vidé de son vrai sens qui a cruellement fait défaut pendant le confinement.
Ce serait pas mal d’avoir des spécialistes pour tout ça. Ah ben des profs, tiens, il semblerait que ce soit leur métier. Et même qu’ils joueraient un rôle à l’école… Alors, si on arrêtait un peu de leur taper dessus, aux profs? Parce qu’ils ont été là pour la grande majorité et qu’ils le sont encore et qu’ils le seront encore demain. Enfin, j’espère. Parce qu’il y a des bruits inquiétants sur cette expérience d’enseignement à distance à grande échelle dont on ne tire pas tous les mêmes leçons…
En attendant, j’espère bien qu’à la rentrée, la vraie en septembre, on les retrouvera, les profs et les instits, dans une salle de classe ou dans la cour, au contact, pour de vrai avec nos enfants, leurs élèves.
Ou alors dans la rue…
Delphine
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Dans notre cas, nous nous sommes retrouvés face à une direction d’école ayant fait le choix d’accueillir un minimum d’élèves au regard de la superficie des classes, du personnel disponible, de la réouverture de la garderie et de la cantine. Le tout sans explications alors que nous sommes en zone verte et rurale et qu’on pourrait s’attendre à un peu d’imagination et de souplesse dans l’application du protocole. Un protocole appliqué à la lettre; pour nous il s’agit d’une grève du zèle.
Ainsi seulement 4 élèves dits “prioritaires” (pour une enseignante et une Atsem) pour une classe habituellement capable d’en accueillir 25, dans une salle de 50m2. Avec au final une école élémentaire qui finit par se retrouver avec seulement 1 enseignante sur 5. Au moment de la phase 2, aucun effort n’est fait pour accueillir ne serait-ce qu’un ou deux enfants supplémentaires. Bilan : une énorme majorité d’enfants qui resteront sans contact avec l’institution scolaire pendant 5 mois et demi.
Une direction sans égard, sans écoute depuis le début du confinement avec un refus d’accueillir les enfants des parents prioritaires, et qui ensuite renvoie la faute sur ces derniers parents si d’autres enfants ne peuvent être accueillis. Qui incite également les parents enseignants à faire valoir leur autorisation d’absence.
La situation est exceptionnelle mais l’école demeure un lieu d’écoute et d’ouverture vers les familles; cette fonction n’a pas été respectée et la communication a été quasi inexistante. Si ce sont certes les directeurs et directrices qui sont décisionnaires en cette période, certains en abusent et cela est malheureusement préjudiciable pour l’image de l’école, avec des conséquences importantes sur les apprentissages des enfants et sur les vies familiales et professionnelles des parents. L’école est importante, les enseignants et enseignantes indispensables. Mais lorsque la situation devient insoutenable, les principaux perdants sont nos enfants.
En tant que parents, nous avons eu le sentiment d’être pris en otage avec pour finir une rupture de confiance totale vis à vis de l’école. C’est en tout cas notre cas. Et j’ai été enseignante.
Anne