Vers la fin des petites écoles de campagne ?
Ah, l’image d’Epinal de la petite école en milieu rural, avec une classe unique regroupant des élèves allant de la Petite Section de Maternelle jusqu’au CM2… Lorsque les écoles de campagne en sont là de nos jours, gare à la fermeture ! C’est un tout autre modèle qui semble se dessiner aujourd’hui, avec des groupements scolaires rassemblant des élèves venus de toutes les communes situées 20 à 25 km alentours. Bonne idée, ou usine à gaz ? Éléments de réponse avec l’exemple du Dorat.
S’il est un domaine où les anciens cantons – d’avant la réforme de 2013 – ont encore une forte lisibilité administrative, c’est bien celui de l’école publique. Les chef-lieux de ces anciens cantons possèdent encore tous des écoles maternelles et élémentaires. Au Dorat, on assiste même à une situation quelque peu singulière et atypique. Des douze communes qui composaient ce canton, seule celle du Dorat a pu conserver ses écoles, qui accueillent donc les enfants de l’ensemble du secteur.
Petit retour en arrière. Conséquence de la désertification des campagnes, les années 1970 vivent un déferlement de fermetures de classes au Nord du Dorat. Malgré cela, les communes conservent toutes une école, et on trouve beaucoup de classes uniques ou d’écoles à deux classes, avant que ne soient créés les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) dans les années 1980. Mais la classe unique, c’est l’antichambre de la fermeture. Une institutrice aujourd’hui à la retraite se souvient : « Les jeunes enseignants habitant près de Limoges, et nommés en classe unique dans le Nord du canton du Dorat, étaient mis à rude épreuve et les trajets quotidiens étaient éprouvants à la longue. Les regroupements pédagogiques apportaient plus de confort aux enseignants et aux élèves, et mettaient un frein aux fermetures d’écoles. C’était de bons RPI. Je me souviens de maîtres exceptionnels et de bons équipements. » Mais les efforts déployés ne réussissent pas à contenir l’hémorragie. Si les classes uniques ferment les premières, les regroupements les suivent.
Face au constat d’une baisse sans précédent du nombre d’enfants scolarisés, le système ne peut plus tenir et une organisation palliative s’impose alors. L’idée de faire une école centrale répond aux objectifs de l’Éducation Nationale. C’est le scénario qui est retenu pour le Dorat : une unique école qui accueille les enfants de tous les alentours. Avec un premier problème majeur, à savoir la détermination de la collectivité en charge de la gestion de cet établissement scolaire. D’abord rattachée à la Commune, puis à la Communauté de Communes de la Basse-Marche, et désormais à la nouvelle Communauté de Communes du Haut-Limousin en Marche, l’école du Dorat semble balancée d’une collectivité à l’autre. Avec un petit air de patate chaude. D’autant que les motifs de mécontentement sont légion. Par exemple, c’est à Bellac, siège de la nouvelle Communauté de Communes, que les parents doivent aller pour inscrire leurs enfants à l’école du Dorat. Logique, n’est-ce pas ! C’est aussi à Bellac que se trouvent les services techniques de la Communauté de Communes. Pratique, en cas de pépin logistique dans l’enceinte de l’école. Jean-Michel Faury, maire de Dinsac, vice-président de la Communauté de Communes, chargé de la scolarité, nous explique d’ailleurs qu’il espère que, pour certaines de ces raisons, les écoles du Dorat seront de nouveau gérées par la seule commune du Dorat. Actuellement, les communes participent au financement de l’école, via la Communauté de Communes, au prorata du nombre d’élèves scolarisés. Au final, doit-on laisser la compétence des écoles rurales aux seules communes qui les hébergent, même si elles accueillent des enfants de tout le secteur ? Ou à l’inverse, doit-on agrandir les communes à l’échelle de l’école ?
En 2018, l’ouverture au Dorat d’un groupe scolaire flambant neuf est une nouvelle étape. Il abrite aujourd’hui trois classes de maternelle, quatre classes élémentaires et une classe supplémentaire, attribuée cette année à sept élèves du Prat (Institut d’accueil pour enfants en difficultés basé à Oradour-Saint-Genest). Ce sont donc 154 élèves qui sont scolarisés dans cette école du Dorat. Une nouvelle cantine scolaire est intégrée à l’ensemble, que nous sommes allés visiter.
Il est 16h30, un après-midi de septembre, l’heure de la sortie pour les écoliers. Voitures et cars ont investi les bordures de trottoirs. Commence alors, durant quelques dizaines de minutes, un effervescent ballet d’enfants ; d’un côté, ceux qui retrouvent leurs parents, et de l’autre, ceux qui sont dirigés vers les cars. Le quartier retentit de cris et de rires. Un air de ville. Marion Blin, directrice de la maternelle depuis 2007, nous reçoit dans ses nouveaux locaux, de beaux espaces fonctionnels. Après la visite des lieux, nous échangeons dans la salle des maîtres. L’école maternelle accueille cette année 56 élèves de 14 (!) communes différentes : 18 en Grande Section, 18 en Moyenne Section, et 20 en Petite Section. L’enseignante apprécie cette nouvelle infrastructure, idéalement située à proximité du centre de loisirs, en charge du périscolaire, et de la crèche. L’intégration de la cantine où mangent la plupart des enfants est aussi un point fort, avec des repas préparés sur place et l’introduction d’une part de produits locaux dans les menus. Concernant les difficultés engendrées par le rattachement à la Communauté de Communes, la directrice confirme les problèmes et tout particulièrement ceux dus à l’éloignement des services techniques. Toutefois, l’école bénéficie de bonnes dotations financières, par exemple pour l’achat de matériel de sport.
Le groupe scolaire du Dorat serait-il donc précurseur en Basse-Marche ? Une école centrale, globale, économique, que l’on présenterait comme un modèle. Des vulnérabilités ne manquent pourtant pas d’apparaître. À la moindre baisse d’effectifs, la troisième classe de maternelle accordée au Dorat en 2017 pourrait se retrouver sous le couperet de la politique des chiffres du Rectorat. Les 4 classes de l’élémentaire sont aussi dans l’obligation de faire des cours mélangeant des niveaux différents. Et ce bâtiment, pourtant flambant neuf, pose déjà des problèmes de fonctionnalité. Déjà, une classe de maternelle doit être logée dans les bâtiments de l’élémentaire, et la classe du Prat se retrouve installée dans la salle informatique. De nombreuses questions se posent. Le projet est-il viable à long terme ? Le vaste territoire qui permet à l’école du Dorat de se maintenir restera-t-il encore attractif demain ? Des familles seront-elles encore motivées pour s’installer aux confins de notre campagne avec une école située à 25 kilomètres, puisque plus aucune petite école communale ne subsiste ? Sans parler des coûts des transports scolaires, de la fatigue des enfants, etc. Loin de la solution miracle donc ! Jean-Claude Leblois, président du Conseil Départemental de la Haute-Vienne, se félicite de l’inauguration de cette nouvelle école (article du Populaire du 24 juin 2019) et nous avec lui, mais d’autres structures peuvent trouver leur place dans le paysage scolaire. L’uniformisation ne doit pas être la rançon du progrès. On peut tout aussi bien bénéficier d’une excellente scolarité efficace et heureuse dans de petites écoles.
Article de Marie-Josée Dauby et Michael Thoury, à lire dans Mefia Te n°3 !