Pendant une des dernières réunions Mefia Te ! d’avant-confinement, nous avons parlé d’écologie, de projets locaux et de bâtis. Un lien fut rapidement fait au projet de Isaline, architecte fraîchement diplômée qui s’est installée dans une ferme à Breuilaufa. Elle a récemment animé des ateliers à Blond et présenté son projet de fin d’étude à Bellac. « Oh ! Ça m’intéresse ! » s’est écriée Fanny, membre active de la rédac’. La voici donc partie interviewer notre constructrice locale. Confinement oblige, c’est en vidéo qu’elles ont échangé, chacune un chat sur les genoux, avec pour décor le superbe treillage de la yourte d’Isaline!
Pour son master 1 d’architecture, Isaline a rédigé un mémoire intitulé Des Architectures pour le maintient d’une agriculture paysanne. L’un de ses plus grands constats fut la quantité d’auto-constructions présentes sur les fermes. Pour son projet de fin d’études, elle a donc choisi de revenir sur le territoire de la Basse-Marche, avec à cœur de répondre à la question « Comment un architecte peut-il accompagner l’auto-construction ? »
Avant tout : c’est quoi, les caractéristiques de l’auto-construction ? Isaline a donc commencé par un carnet de campagne, un véritable outil de recensement et de rencontres. Avec son bagage d’architecte, elle a répertorié les bâtiments auto-construits de la région, maisons, appentis, extensions de grange, cabanes pour les lapins, les cochons, le matériel. Puis les a classés afin de comprendre les besoins, les émergences communes, les caractéristiques qui se répètent. L’une de ses conclusions est la présence presque constante de la « frugalité » dans le construit. Et dans ce terme, elle fait entrer trois grandes familles : le réemploi (les matériaux sont rarement neufs, la récupération occupe une place importante) + les circuits courts (les matériaux sont généralement puisés autour du lieu de la construction) + les modes de mises en œuvre généralement manuelles (peu de recours à des machines).
Elle parle d’architectures remarquables en terme de frugalité. Les bâtis rivalisent d’intelligence et de praticité. Mais alors, l’architecte, à quoi pourrait-il servir ?
Isaline propose une mise en commun des savoirs et un apprentissage de techniques.
Elle me parle de la coop Atelier Paysan installée à Grenoble. Dans une démarche relativement similaire, les acteurs de ce regroupement recensent le matériel de maraîchage construit ou bricolé par les paysans pour leur propre usage afin de répondre à leurs besoins très particuliers, en fonction du terrain ou des nécessités d’une exploitation trop modeste pour mécaniser l’action. Pour chacun des outils, de grandes lignes communes émergent. Des astuces aussi. Et si on met tous les éléments récoltés en commun, cela donne quoi ? Des designers qui proposent des plans d’outils à construire soi-même qui ont bénéficié des recherches de nombreux cerveaux et des usages de nombreuses mains ! Les plans continuent d’évoluer, au gré des améliorations de chacun.
Isaline est à la fois animée par cette mise en commun des savoirs mais aussi par le respect d’une construction vertueuse. Pour de nombreux architectes, la « frugalité » est associée à une certaine forme d’éphémère. Pourtant, l’emploi de matériaux locaux et de techniques manuelles sont tout à fait amenés à une réelle forme de pérennité… C’est ainsi que construisaient nos ancêtres. Ha ! Un nœud que notre architecte a rencontré. « Nos ancêtres », « avant »… Isaline ne clame pas un retour en arrière. Au contraire. C’est une véritable ouverture et une réflexion profonde face au monde actuel qui la pousse à chercher dans ce sens. Ne pas diaboliser le passé mais plutôt le regarder, le comprendre et se servir de nos outils et connaissances actuels pour inventer de nouvelles formes. De nouvelles formes pour penser le construit. Pour penser la façon de construire. Aujourd’hui, la plupart des chantiers dits « verts » se servent malheureusement des grands circuits de distribution pour le matériel. Alors, si on veut être réellement vertueux, peut-on sérieusement nous rendre dans un grand supermarché du bricolage en cherchant les étiquettes « label vert » ?
Il s’agirait de se servir de ce que l’on a, en apprenant à le valoriser au maximum.
Revenons au passé : comment cette superbe grange est-elle construite ? Des pierres, du bois, de la terre pour les tuiles. C’est rien et c’est fou parce que c’est parfait.
Rendu à ce moment de notre entretien, je trépigne : je suis conquise. Alors, concrètement, on fait quoi ?
On apprend. On explique. On fabrique avec. On transmet et on essaime… Isaline a animé des ateliers avec la participation des Jardins de Blond1. Il y avait trois rendez-vous pour toucher à trois techniques différentes, dont l’enjeu était de valoriser un matériau local.
Tout d’abord, les participants ont utilisé l’acacia (robinier), bois dur et résistant au pourrissement, pour mettre en place un dallage. Lors du second atelier, les gaulettes de châtaigner ont servi a monter un treillis. Enfin, grâce à du chêne et du mortier, les participants ont fabriqué des bancs en bois cordé. Ces trois techniques, notre architecte n’en avait pas encore tout à fait la maîtrise. Le passage de la théorie à la pratique faisait aussi parti de l’expérience, tout comme la mise en commun des savoirs et des réflexions de chacun. Quand on est plein, on avance plus loin.
Selon Isaline, pour ce genre de mises en œuvre des constructions, l’architecte doit forcément mettre la main à la pâte. La connaissance passe par l’expérimentation. Cette dernière permettra l’émergence de nouvelles pistes et de concepts architecturaux, qui pourront être adaptés et appropriés par les auto-constructeurs.
Malgré le désir de Isaline de mener toutes ces recherches dans un cadre architectural « classique » elle se heurte à la réglementation. L’architecture frugale reste très largement « hors-norme » et pour la plupart de ses professeurs, elle doit le rester. Il aura fallu pas loin de 40 années pour que la paille en tant qu’isolant soit reconnue par les assurances. Les recherches avaient pourtant été menées par des architectes très sérieux… Il reste difficile de déroger du système mis en place, malgré les volontés annoncées de respect écologique.
Isaline ne baisse pas les bras, au contraire. Elle continue de se former sur différentes techniques de constructions, afin de réfléchir à des mises en œuvre novatrices et adaptées au territoires. Des mises en œuvre transmissibles et appropriables. Un très beau rôle pour une architecte, à mon avis.
Ainsi, elle va entamer l’apprentissage de différentes techniques autour de la terre crue dans peu de temps. Sa ferme devient son école. C’est à la fois le lieu de mises en pratique pour elle et de transmission pour ceux qui viennent lui prêter main-forte. Elle me parle des briques d’adobe et de sa frustration d’en avoir fabriqué pendant seulement trente minutes lors de ses études. Une technique doit s’expérimenter pour que l’on soit amené à la faire évoluer, à y réfléchir. Faire avec ce que l’on possède, c’est s’intéresser à chaque matière, à ses caractéristiques, à la façon dont elle est présente dans la région. Connaître les arbres. Connaître les terres, leurs compositions, où les trouver. Devenir un petit laborantin. Et un grand observateur. Il s’agit aussi de comprendre la diversité des territoires et leurs gestions. La construction se fait avec ce qui pousse, ce qui pousse sert à nourrir et à abriter la bio-diversité. Ce sont des boucles et elles se doivent d’être vertueuses pour que l’équilibre perdure.
Voir, comprendre, apprendre, tout cela pour être inventeur.
Nous parlons de projets concrets. Parce que si j’ai bien compris quel rôle Isaline pourrait souhaiter en tant qu’architecte, ma question est : comment gagnes-tu de l’argent dans notre monde économique ?
Nous parlons de l’une des parcelles du lotissement à vendre sur la commune de Blond. Si la municipalité achetait l’un des espaces pour le louer, pourquoi ne pas construire de manière frugale ? (Nous l’avons compris maintenant : l’architecture frugale est pérenne et met en œuvre à la fois les réemplois, les circuits courts et les procédés peu consommateurs d’énergies fossiles.) Et si on faisait pousser du chanvre sur la parcelle ? Celui-ci pourra ensuite servir directement pour les isolations… Ce genre d’idées pourraient révolutionner un certain nombre de constructions.
Peut-être pourrait-il s’agir de missions locales, soutenues par les départements ? Un fond commun dans un premier temps pour l’installation d’un architecte de la frugalité sur chaque espace rural, capable de transmettre des grands principes de constructions et de nous aider à l’auto-construction vertueuse, de notre maison au clapier, de la grange pour les veaux à la serre, et qui pourra peu à peu asseoir un poste « rentable » au sein de la population. Et valoriser les possibles et les richesses du territoire, en créant des filières d’exploitations de l’existant (par exemple, la laine de mouton dans la région)…
Moi ça me donne envie d’apprendre à construire…
Merci Isaline !
Fanny ETIENNE-ARTUR
1Association visant à développer les liens humains autour de plusieurs projets de jardins partagés à Blond 87. Partages intergénérationnels des savoirs. https://lesjardinsdeblond.blogspot.com