Samedi après-midi 3 septembre 2022, 16h, au sortir de l’école de musique de Bellac. Je suis entouré de jeunes musiciennes en larmes, qui pleurent parce que leur professeure de clarinette vient d’annoncer à ses élèves et à leurs parents qu’elle n’enseignerait plus à Bellac. Malgré le développement de sa classe de clarinette, malgré son implication dans le projet « orchestre à l’école » sur la commune, malgré son rôle moteur parmi les enseignants de l’école de musique, et malgré sa volonté manifeste de vouloir s’investir ici, cette enseignante s’est vu refuser la titularisation à laquelle elle aurait eu droit au sein de l’établissement. Elle part donc vers une autre école, loin d’ici, qui lui offre un poste de titulaire, et elle a bien raison, comme lui ont dit en chœur les élèves et les parents d’élèves – venant de Bellac, Blond, Chateauponsac, Saint-Junien-les-Combes, ou Val-d’Oire-et-Gartempe. Le directeur de l’école de musique va se démener pour trouver au pied levé une remplaçante ou un remplaçant. Je ne suis pas très optimiste, et ma colère monte.
Ma colère monte, parce qu’il y a un an, les parents d’élèves avaient déjà tiré la sonnette d’alarme pour essayer de mobiliser les élus au sujet de l’avenir de l’école de musique. Ma colère monte, parce que les travaux de la commission de travail réunissant des élus de différentes communes du territoire semblent butter sur je ne sais quelles querelles d’égos. Ma colère monte, parce que les parents d’élèves venaient déjà de recevoir, courant août, un message annonçant une hausse drastique des tarifs d’inscription ; ce samedi, on nous annonçait néanmoins que finalement, l’augmentation serait moindre, mais le mal est fait, d’autres parents ayant déjà inscrit leurs enfants ailleurs, à La Souterraine ou Saint-Junien. Ma colère monte, parce que des maires du territoire de la Basse-Marche se renvoient la balle méthodiquement et refusent d’évoquer les différents scénarios envisageables pour l’avenir de l’école. Ma colère monte, parce que les discours entendus sur la nécessité de développer l’attractivité du territoire se fracassent sur la réalité du jour ; quelle belle impression cela donne, pour des familles envisageant de s’installer sur notre territoire, de voir le sort réservé à cette école de musique. Ma colère monte, parce que le timing des collectivités n’est pas celui de la vraie vie ; fin septembre, les tarifs de l’école de musique seront fixés en conseil municipal, mais aujourd’hui, on ne sait même pas si les élèves auront des profs face à eux. Ma colère monte, parce que je vois des gens se démener, profs, parents, élus, maires, et qu’à côté de cela je vois leurs efforts annihilés par la passivité, le silence, ou la mauvaise foi d’autres élus, maires, conseillers municipaux, etc. Ma colère monte, parce qu’aucun élu municipal ou communautaire ne vient à la rencontre des profs, des parents et des élèves en ce jour de rentrée de l’école de musique de Bellac. Ma colère monte enfin, parce que je vois avec cette situation les limites du rôle que peuvent jouer les acteurs de la société civile.
Je n’ai pas la prétention de connaître la solution au problème du coût financier que peut représenter une école de musique pour une collectivité comme la Commune de Bellac ou la Communauté de Communes du Haut-Limousin en Marche. Peut-être que l’heure est effectivement à la diète sociale, culturelle, associative, que sais-je encore, et si effectivement nos communes rurales sont exsangues, peut-être faut-il imaginer des projets alternatifs. D’ailleurs une fois que l’école de musique – ou tout autre équipement fragile du territoire – sera cassée, nos communes n’auront d’autre choix que de travailler ensemble pour essayer de reconstruire différemment. Et nous verrons alors que ce qui n’est pas possible aujourd’hui le deviendra bel et bien, finalement. En attendant, nous avons droit aux larmes de crocodiles de certains élus, et aux larmes de tristesse de nos enfants.
Une colère noire, couleur clarinette.
Baptiste SOUCHAUD
Père d’une jeune élève clarinettiste