Une journée d’infirmière

Quand on est cloué au lit, ou bien que le médecin a prescrit des piqûres à domicile pour le petit dernier, ou bien encore que notre papy préféré sort d’hospitalisation et qu’il a besoin de soins à la maison, qui voit-on débarquer ? L’infirmière ou l’infirmier du secteur, qui joue un sacré rôle sur ce territoire rural. Exemple ici avec Isabelle, qui nous relate sa journée !

Lever entre 4h et 4h30, cela dépend de la tournée qui m’attend. Départ, 5h15 – 5h30. Je quitte mon village dortoir comme il en existe tant autour des agglomérations. Me voilà partie pour 25 minutes de voiture. Depuis six ans que je fais cette route, je crois être capable de savoir quand je vais rencontrer la camionnette blanche, le bus, ou la Fiesta bleue. Je laisse Cieux et le boulanger parti du fournil pour mettre le pain en magasin, les virages de Blond qui me sont si familiers, je ralentis, je sais qu’ici dans ce virage va passer le renard, ici une chouette… Je peux maintenant m’engager sur la belle ligne droite entre Blond et Bellac, limitée bien sûr à 80 km/h. Après les derniers virages de Thoveyrat, me voilà arrivée à Bellac, avec vue imprenable sur l’église éclairée. Un détour par le bureau pour récupérer le matériel et pour voir si personne n’a appelé durant la nuit, pour une « prise de sang prioritaire à l’heure qui vous convient entre 8h et 8h15 », et dont la prescription date de 3 mois. Début des réjouissances 6h ; je sais que ce matin je verrai entre 25 et 30 patients ; que je vais frapper, sonner, et entrer avec cette phrase si souvent usitée « Bonjour, c’est l’infirmière ! »

La population que nous côtoyons est essentiellement âgée, nous effectuons des soins dits chroniques, comme le suivi du diabètique, la préparation et la délivrance de médicaments, des prises de sang, des pansements, et de la bobologie. Cependant nous prodiguons aussi des soins effectués auparavant à l’hôpital, le temps d’hospitalisation étant sans cesse raccourci dans un souci de rentabilité. Nous réalisons donc des soins de plus en plus spécifiques et techniques qui nous demandent sans cesse de nous former et d’acquérir de nouveaux savoirs. Il est important d’être efficace dans la réalisation des soins pour établir un rapport de confiance avec le patient, mais l’essentiel de mon travail est dans la relation à l’autre. Je connais la plupart des patients depuis plus de 10 ans que je suis remplaçante, voire pour certains depuis 17ans lorsque j’étais élève infirmière, en stage avec ceux qui sont désormais mes collègues. Il va sans dire que nous tissons avec les patients des liens qui vont au-delà de la relation de soins. Je suis au courant des mariages, des naissances, des divorces, de qui viendra pour Noël ou pas, des baptêmes. Preuves à l’appui, «oh tu as bien 5 min, je vais te montrer les photos ». On m’explique par le menu ce que l’on a mangé, à quelle heure on s’est couché… Pendant ce temps, j’entends presque déjà sur le répondeur la « prise de sang hyper urgente : il est 8h04, personne n’est venu, je m’inquiète, vous m’avez oublié ? ». Ma matinée va continuer ainsi d’un patient à l’autre, avec des arrêts plus ou moins fréquents au laboratoire d’analyses. Notre champ d’action ne se limite pas uniquement à Bellac, nous couvrons en une matinée, à deux collègues, un rayon d’environ 20 km : Saint- Bonnet-de-Bellac, Berneuil, Peyrat-de-Bellac, Saint- Junien-les-Combes, Saint-Ouen-sur-Gartempe, La Croix- sur-Gartempe, et tout ce qu’il existe de hameaux et de maisons isolées. Aller dans la campagne est pour moi un de mes moments préférés, voir ces paysages qui me ravissent durant toute l’année, voir les champs labourés, ensemencés et récoltés ; avoir l’impression que la vie est encore rythmée par le cycle des saisons. Le rôle social de notre travail prend tout son sens pour ceux qui vivent isolés: on emmène les médicaments, une ampoule, on transmet le bonjour du voisin qui passera plus tard, on ouvre les volets… Autant de choses que l’on fait en dehors de nos attributions, mais qui sont l’essence même de notre travail. On échange sur les nouveautés à Bellac, et toujours cette phrase « Avoir vu Bellac comme je l’ai connue, avec les usines et les jours de foire, et la voir maintenant!» C’est vrai que c’est devenu triste Bellac, les rues se vident, les magasins du centre ferment un à un. Pourtant je l’aime, moi, cette ville, j’aime écouter les vieux en parler, j’aime leur méfiance de prime abord et leur chaleur après. Où trouverai-je encore des légumes, des champignons, des boutures pour mettre dans mon jardin, des draps en lin, des chocolats pour Noël, des chocolats de Pâques pour ma fille ? Car si je connais leur vie, ils connaissent la mienne ! « Et l’école comment ça va? Et son bras, elle n’a plus de plâtre? Et ton mari, il est parti bosser où cette fois ?» La matinée de soins se terminera vers 13h30 – 14h, avec une pause au café pour retrouver ma collègue et sa bande. J’y retrouve d’ailleurs certains patients. Au-delà du café, c’est pour moi un vrai moment de détente et de convivialité. L’après-midi recommence avec toute la partie administrative pour les dossiers et les factures, puis je recommence les soins jusqu’à environ 20h. Bilan d’une journée d’infirmière : j’aurai vu environ 50 patients, parcouru 170 km, râlé un bon nombre de fois. Même si je trouve injuste que mes formations ne soient pas assez reconnues, même si je trouve injuste de pas être rémunérée à taux plein mais de façon dégressive pour les actes que j’effectue chez le patient, j’aime mon travail. Je l’aime pour ces rencontres, ces histoires de vie, ces relations humaines. Je l’aime avant tout parce que je le fais ici à Bellac. J’ai déménagé pour me rapprocher de Limoges pour plus de commodités, et j’ai trouvé tout cela. En revanche j’ai perdu l’esprit de village et de convivialité, grâce auquel, à Bellac et dans les environs, il m’est impossible de faire 2 mètres sans dire bonjour, ou discuter au coin de la rue. Je serais incapable d’être infirmière hospitalière, ou en ville; j’aime mon travail d’infirmière de campagne, de cette campagne.

Isabelle RIVAT

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