Mefia Te !

Terrain mythé

Sabine Massé et Delphine Hue

Si la Basse-Marche m’était contée

Petits, plusieurs d’entre nous n’osions pas passer sous les échelles. Certains parents nous disaient sans cesse de retourner ce pain dont la partie inférieure se trouvait honteusement exposée à la vue de chacun. On nous promettait sept ans de malheur lorsque nous faisions tomber un miroir dans la salle de bain. Il nous est même arrivé de guetter par la fenêtre qu’un bonhomme rondouillard à la barbe blanche, apparemment originaire du pôle Nord, vienne nous apporter des jouets tant désirés. Sans parler de la peur du loup… Tout cela peut prêter à rire. Ce ne sont que des superstitions d’enfant naïf. Mais ces histoires ne sont que la partie émergée d’un iceberg de mythes, de légendes ou de contes qui existent depuis que l’Homme existe. Aujourd’hui encore des histoires rocambolesques prennent corps. Et pas que dans les livres. Dans notre quotidien aussi. De cette créativité naissent par exemple des théories complotistes dont nous ne développerons pas les idées ici, par crainte d’être accusés d’appartenir aux membres de la secte pédo-satanique reptilienne qui dirige le monde. Ainsi certaines histoires nous divisent, d’autres nous rassemblent. Certaines nous enferment, d’autres nous libèrent. Elles font société.

Photo Fanny Etienne Arthur

Or la période que nous vivons actuellement semble bloquer toute perspective, brouiller les radars. On aurait presque envie de se mettre sous une couverture bien chaude et d’hiberner pendant deux ans, le temps que tout ce bordel se termine. À Mefia Te !, on n’en menait pas bien large il y a trois mois pour trouver un sujet de dossier. Comment fouiller un sujet quand on est privé de visite chez les acteurs de notre territoire ?

Mais petit à petit, l’idée des mythes et légendes s’est imposée à nous. Déjà parce qu’elle avait l’avantage de nous permettre de nous évader par la seule force de l’esprit, atout majeur dans le contexte actuel. Mais aussi par ce que la Basse-Marche est une terre de légendes, autrement dit un terrain mythé, et qu’on voulait en savoir plus sur les légendes locales d’hier, d’aujourd’hui et sur celles à venir.Ainsi, avec l’appui d’« experts », nous avons essayé de comprendre ce qu’on entendait par mythes, légendes et contes, notamment ceux propres à notre territoire. Nous évoquons par exemple la légende de la Mandragore, cette étrange créature qui rodait dans nos forêts il y a longtemps, très longtemps. Nous nous sommes questionnés également au sujet du terreau sur lequel naissent ces histoires ; vous verrez que la multiplicité des rivières, des collines, des édifices et autres composantes de notre espace bas-marchois sont des ressources inépuisables pour la fabrique des légendes. Nous nous sommes également intéressés à ces histoires dont on a du mal à distinguer la part de vérité et la part de légende. Comme par exemple la venue du « bon » roi Henri IV dans notre région au début du XVIIe siècle. Un  évènement probablement marquant pour les habitants mais peut-être un peu moins pour son illustre majesté ! D’autres épisodes plus ou moins récents ont fait l’objet de nombreuses discussions quant à leur véracité et nous nous sommes amusés à en détricoter quelques-uns ; une nouvelle rubrique naîtra d’ailleurs sûrement de ce petit jeu. Mais les mythes sont parfois tellement ancrés qu’ils continuent de marquer l’imaginaire collectif. Comme par exemple le mythe de la Basse-Marche, territoire enclavé qui ne pourrait trouver son salut qu’avec l’aménagement de la RN147 ou l’arrivée de l’Hyperloop ! Et parce que les mythes persistent, il faut peut-être réfléchir à en dépoussiérer certains, de manière à imaginer un avenir plus stimulant pour les générations à venir. Finissons par une belle phrase de Nuto Revelli, auteur italien qui se faisait la voix des paysans du Piémont : « Le temps brise et disperse la réalité, ce qui reste devient mythes et légendes ». En Basse-Marche, c’est pareil !