Mefia Te !

Faire vivre la culture en milieu rural : dur dur !

Dessin Alain Guyot

La culture en milieu rural, tout un poème… En Basse-Marche, il est un lieu important, c’est le Théâtre du Cloître à Bellac. Catherine Dété en assurait la direction depuis 2015, et elle est partie en février 2020 vers d’autres horizons professionnels. Forcément, ça méritait un entretien. Dans lequel on sent poindre une forme d’amertume de notre interlocutrice, qui aurait aimé trouver plus de soutien, tant de la part des élus que des habitants.

« Les gens d’ici ont une vision négative de leur territoire, mais en même temps ils supportent très mal la critique ! » Après à peine quelques minutes d’entretien, cette phrase prononcée par Catherine Dété, Directrice du Théâtre du Cloître pendant 5 ans, jusqu’à fin février 2020, nous fait sourire. Elle a tellement raison. Et c’était justement pour recueillir ce genre de constat lucide et critique que nous tenions à interviewer Catherine Dété avant son départ pour le Théâtre de Châtellerault. On se doutait qu’après 5 années passées à remuer ciel et terre pour défendre le spectacle vivant sur notre territoire de la Basse-Marche, elle aurait pas mal de choses à dire.

Dès sa prise de fonction en 2015, elle dit s’être rendu compte qu’elle devrait se retrousser les manches. Ayant grandi dans une commune plus petite que Bellac, Catherine Dété arrive ici avec l’envie de vivre à la campagne, après plusieurs années d’expérience professionnelle au Théâtre de Rouen, mais aussi dans le bassin minier, du côté de Béthune. En comparaison, l’action culturelle en Basse-Marche, ça devait être de la rigolade ! Que nenni. Elle a dû en affronter, des difficultés… La joie de la gestion des financements publics, d’abord. L’équipe du Théâtre du Cloître, salariée par l’association Bellac sur Scène, doit s’évertuer à faire coïncider les demandes des différentes financeurs. Avec par exemple, d’un côté les élus locaux qui demandent plus de variété dans la programmation, et de l’autre les services de l’État qui tiennent à donner au Théâtre, en tant que Scène Conventionnée bénéficiant des financements correspondants, une couleur spécifique, en l’occurrence avec les marionnettes et le théâtre d’objets. Pas simple. D’autant que les coûts des spectacles, quels qu’ils soient, augmentent régulièrement… Équilibre financier fragile, donc, si bien que dès que Catherine adresse la parole aux élus, elle a l’impression que certains d’entre eux se mettent immédiatement sur la défensive en pensant « Mon Dieu, elle va nous demander de l’argent ! ».

Mais en même temps, si l’on ne trouve pas plus de financements, il va falloir se poser la question de ce que l’on veut faire de ce lieu, surtout que le Théâtre a déjà réduit la voilure. Un poste de régisseur en moins, un demi-poste en comptabilité-communication mutualisé avec la Mégisserie de Saint-Junien et la Ferme de Villefavard, une nombre de spectacles annuel ramené à seulement 15 ; difficile de faire mieux en termes d’économies ! Et pourtant certains élus continuent de voir le Théâtre du Cloître simplement comme un coût. Catherine Dété ne se l’explique pas. Elle nous dit qu’il y a eu une cristallisation sur cet aspect financier. Pourtant elle reste persuadée – comme nous ! – qu’on a besoin de culture sur un territoire comme le nôtre, que le Théâtre du Cloître est un bel outil, et qu’il faudrait mieux l’exploiter. La question, c’est comment ! Avec quels partenariats, avec quels acteurs culturels, associatifs, etc. ?

On en arrive donc naturellement à discuter de la dynamique du territoire. Elle l’avoue à demi-mot : elle s’attendait à quelque chose de plus vivant. Une population âgée, pas très friquée, qui a souvent du mal à faire autrement que de regarder en arrière ; du coup forcément, difficile d’aller de l’avant… Les mots de Catherine sont durs : « Les gens d’ici ne sont pas de bons ambassadeurs », « Ce territoire semble parfois dépressif ». Un territoire, qui, nous dit-elle, aurait besoin de plus d’envie et de plus de moyens ; il suffirait pourtant de pas grand-chose ! En tout cas, Catherine Dété semble quitter la Basse-Marche avec une certaine amertume. Elle a eu l’impression de tenter plein d’idées différentes, mais malheureusement trop souvent, la fréquentation du Théâtre du Cloître n’était pas à la hauteur ni de ses attentes, ni de l’énergie engagée par ses équipes dans ce projet. Dur dur. Pénible de lutter contre des croyances parfois bien ancrées, à tort, comme l’image un peu guindée, élitiste, dont pâtit encore le Théâtre et le Festival de Bellac. Fatigant aussi de ne pas parvenir à travailler systématiquement en réseau ; Catherine Dété regrette par exemple que le Théâtre n’ait pas été sollicité plus activement au moment du montage du projet de tiers-lieu bellachon, car de nombreuses connections pouvaient être envisagées entre ces deux structures, et peuvent encore l’être, d’ailleurs ! Une certitude : sur ce territoire de la Basse-Marche, on souffre beaucoup du manque de vision, de cap, et du manque de dialogue. Au passage, Catherine Dété nous avoue qu’elle échange plus facilement avec les élus du secteur de Saint-Junien plutôt qu’avec ceux de Bellac, ce qui est un comble. Heureusement, ajoute-t-elle, la commission culture de la communauté de communes du Haut-Limousin en Marche s’est mise à mieux fonctionner ces derniers temps, et certains élus se montrent réellement à l’écoute.

Justement, maintenant qu’on a dressé un portrait amer de ces quelques années d’activité, si on parlait de choses positives ? Comment faire pour que le Théâtre du Cloître se fasse une meilleure place au soleil bas-marchois ? Il suffirait de pas grand-chose, entend-on alors… Le Théâtre est un superbe outil qui pourrait être mis plus souvent et plus facilement à disposition des associations locales, pour y organiser concerts, bals, et spectacles divers, moyennant l’embauche d’une personne chargée de gérer cet accueil, indépendamment de la saison culturelle « officielle » du Théâtre. Mais ni l’État ni la Région ne financent ce genre de poste, et ce n’est donc qu’au niveau local que ce choix peut être fait… Chiche ? En tout cas Catherine Dété espère que la personne qui lui succédera parviendra à mettre autour de la table un maximum d’acteurs locaux, pour mieux définir un projet commun, partagé, pour le Théâtre. Si une dynamique collective se crée, si davantage de personnes et d’associations se saisissent de ce lieu, alors les élus suivront ! Et c’est évidemment tout ce que l’on souhaite au Théâtre du Cloître.

À la fin de notre, entretien, Catherine Dété nous relate une phrase qu’elle a entendue dans la bouche d’une spectatrice assidue : « Nous, on a acheté une maison à Bellac, parce que la ville répondait aux trois critères qu’on s’était fixés : il y avait une gare, une bibliothèque, et un théâtre ! ». Comme quoi, l’attractivité d’un territoire ne se limite pas forcément à une route nationale… Un jour, Mefia Te ! fera sûrement un dossier sur cette question d’attractivité, dans laquelle la culture joue sûrement une part importante. Mais aujourd’hui, disons simplement à Catherine : merci, et bonne route !

Baptiste SOUCHAUD